« L’ordinateur du paradis », la tête dans le cloud

ordinateurduparadisRécemment décédé, un homme découvre que le Paradis néo-libéral se mérite. Sur Terre, Simon, rapporteur de la Commission des libertés publiques, subit la vindicte populaire pour un mot sorti de son contexte. Pendant ce temps, des mails effacés ressurgissent mystérieusement…

Le nouveau roman de Benoît Duteurtre joue habilement sur les peurs liées à l’Internet pour proposer une intrigue qui se tient malgré un personnage central un peu falot.

Simon Laroche est un haut-fonctionnaire banal, un planqué payé pour pondre quelques rapports ampoulés dont lui seul est persuadé de l’importance. Dans sa vie personnelle, rien de très folichon non plus. Sa femme ne lui fait plus l’effet que d’une bouillotte agréable dans le lit conjugal et son fils adolescent s’enferme dans un mutisme moqueur. Mais Simon a pour lui une forme de naïveté. Féru de littérature, il affectionne particulièrement le Candide de Voltaire, et tente de se persuader, même lorsque les événements ont tendance à tourner vinaigre, qu’il vit bien dans « le meilleur des mondes possibles ».

Autour de lui, Benoît Duteurtre va broder un canevas de rumeurs et d’informations virales qui dessinent un piège se refermant peu à peu sur son anti-héros. L’auteur invente des caricatures qui pourraient exister, telles que la meneuse du mouvement féministe « Nous, en tant que femmes ! », et sa force est de rendre crédible les événements aberrants qu’il imagine. Le dérèglement du cloud, qui laisse émerger des mails effacés, puis rend publics les historiques et conversations privées des utilisateurs de la toile, est davantage une hypothèse qu’une pure invention. L’occasion pour le lecteur de s’interroger sur les dangers du net mais aussi sur des questions fondamentales, creusées dans le livre sous la forme d’oppositions radicales : défense absolue de la vie privée/transparence, ordonnances légales/pouvoir des médias, connexion avec le monde entier/repli et méditation… La scène qui voit Simon tenter une retraite à la campagne est à ce titre particulièrement réussie, prouvant qu’il est désormais impossible de trouver un refuge anonyme, à l’heure où le monde entier est connecté sur les mêmes réseaux.

À cette intrigue se superposent deux autres niveaux de lecture. D’une part, l’épopée d’un quidam arrivant aux portes du Paradis après son décès, et qui va découvrir qu’il n’en a fini ni avec l’administration, ni avec les travers du néo-libéralisme. L’occasion d’une dénonciation en règle des injustices d’une société où il vaut toujours mieux être du côté de l’élite. Mais aussi l’idée que, même au ciel, le cloud reste la source d’accès privilégiée aux informations. De là à dire qu’Internet est la nouvelle idole de notre société contemporaine en perte de repères religieux, il n’y a qu’un pas que le roman n’hésite pas à franchir, puisque, le Grand Saint Pierre avoue qu’on ne sait plus où est Dieu et qu’à défaut, on se sert d’Internet pour gouverner le monde.

Outre cette satire céleste, Benoît Duteurtre nous donne l’occasion de suivre de loin en loin l’aventure de deux jeunes malins, Red et Darius, qui utilisent la provocation comme arme de succès.

Le tout est bien construit et mordant comme on aime, et l’auteur parvient à maintenir assez longtemps le flou sur l’identité du personnage que l’on suit au ciel. Si la pirouette finale est amusante, on peut toutefois regretter que triomphe la morale passéiste de Simon : c’était mieux avant.

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