Arthur Vlaminck, jeune énarque, se fait embaucher par le ministre des affaires étrangères, Alexandre Taillard de Vorms, en tant que responsable des langages. À lui de se repérer parmi les bureaux labyrinthiques et les conseillers hauts en couleur pour écrire le discours du ministre à propos de la candidature de l’Allemagne au conseil de sécurité de l’ONU…
C’est par un rédacteur de comptes-rendus à l’Assemblée nationale que j’ai entendu parler de la bande-dessinée de Christophe Blain et Abel Lanzac dont ce film est adapté. D’après lui, il s’agissait d’une plongée très réaliste dans le milieu ministériel vu du côté de la litanie des conseillers obscurs qui prémâchent le travail des puissants. Il paraît aussi que le personnage du ministre des affaires étrangères, Alexandre Taillard de Vorms, est inspiré de Dominique de Villepin (paix à l’âme de sa carrière politique). Pour être franche, je n’ai pas lu la bande-dessinée. Je me suis contentée d’aller voir le film de Bertrand Tavernier (que je retiendrai ici comme le réalisateur du touchant Holy Lola plus que pour sa Princesse de Montpensier dont la seule bande-annonce suffit à m’affliger).
À propos du film, donc, je tiens à évacuer d’emblée les deux questions les plus attendues. S’agit-il d’une adaptation fidèle de la bande-dessinée ? Le quotidien du ministère est-il retranscrit avec exactitude ? Honnêtement, peu m’importe. À mon sens, ce n’est pas le propos. Si l’on veut réfléchir à la politique par le biais de la fiction, il est clair qu’il sera bien plus opportun de voir Borgen, l’excellente série danoise diffusée sur Arte.
Ce qu’il faut surtout retenir de Quai d’Orsay c’est qu’il s’agit d’une comédie. Et une comédie bien réussie. Dès l’abord, Bertrand Tavernier évite les écueils souvent fatals aux comédies françaises : les situations rebattues des comédies sentimentales (ici, la question n’est pas de savoir qui finira avec qui), les castings vus et revus à base de bandes de copains recyclées (certes, Thierry Lhermitte est un habitué des comédies les plus faciles mais il est entouré de sang neuf et de talent), et les dialogues saturés de bêtise et de vulgarité. Monsieur Tavernier serait-il donc un élitiste ? Certes, tous ses personnages sont des intellectuels, qui ont fait de hautes études et occupent des postes à responsabilité. Certes, le film est découpé en chapitres que viennent annoncer des citations d’Héraclite. Et pourtant, il est accessible à tous, et résolument drôle.
Les secrets de cette réussite ? Une situation simple : celle d’un néophyte qui découvre un monde complexe dont il ne possède pas les clés. Relégué sur un coin de bureau, perdu parmi les multiples échelons de la hiérarchie ministérielle, bizuté par la vénéneuse conseillère Afrique (Julie Gayet, délicieuse en manipulatrice élégante), le pauvre Arthur s’attire bien vite la sympathie du spectateur, lui aussi béotien en ce domaine. Des acteurs très impliqués, tous parfaits dans leurs rôles : Thierry Lhermitte est convaincant en ministre virevoltant, Raphaël Personnaz attendrissant en idéaliste déboussolé, et les seconds rôles rivalisent de brio. Citons notamment Anaïs Demoustier, valeur montante du cinéma français, Thierry Frémont, en trublion adepte des chansons paillardes, et Niels Arestrup, en vieux singe à qui on n’apprend plus à faire des grimaces.
Surtout, le film bénéficie d’un texte ciselé. Et c’est l’essentiel, car la langue est sans doute le personnage principal du film. Comme le dit le ministre en embauchant Arthur : « je vous confie ce qu’il y a de plus important : le langage ». Ces mots qu’Arthur doit agencer et réagencer dans les discours du ministre au gré des humeurs de celui-ci, le spectateur s’en délecte à toutes les sauces. Qu’il s’agisse des concepts clés du ministre (légitimité, unité, responsabilité, efficacité, et j’en passe), des termes de prédilection de ses amis lettrés (« la complexité » chère à Jean-Paul François – Didier Bezace), des maximes de son père (« on a tous en nous un grand-père qui tricote »), des citations d’Héraclite qu’il distille ou de leur déformation par Arthur et Maupas à propos d’un conflit sur les anchois (scène à pleurer de rire), d’expressions informatiques altérées (« vous avez encore fait papier-collé et ça a été avalé par votre machine »), d’un salmigondis de pensées éculées servi au prix Nobel de littérature, des paroles d’une chanson olé olé insérées dans un discours ou d’une diatribe sur l’importance des Stabilo, le langage se plie en quatre de manière jubilatoire. Et puis, au milieu des éclats de rire (servis par un montage léché et des jeux de caméra appliqués), quelques phrases fulgurantes de vérité, du style : « Tu vas leur trouver plein de choses à dire, comme ça ils n’auront plus à les faire. »
Petit bémol toutefois, quelques failles dans le scénario. Des questions restent en suspens (quid du dîner auquel Marina voulait assister ?), on ne saura jamais vraiment si Arthur a raison de faire confiance au ministre, et la fin est un peu téléphonée. Mais on rit tellement que ce n’est pas si grave.