Alors que maints chevaliers de la Table Ronde ont échoué dans leur quête du Saint Graal, un jeune homme blond se présente le jour de Pâques pour être adoubé par le roi Arthur. Protégé de l’enchanteur Merlin, il ignore son vrai nom et se fait appeler Lancelot. Sera-t-il l’élu qui accomplira la quête ?
Voici un livre que j’ai lu sur un conseil avisé. Je n’ai jamais été très attirée par les histoires de chevaliers, ayant gardé le souvenir d’un ennui profond causé par l’étude d’Yvain le chevalier au lion au collège. De plus, je me méfie des réécritures et adaptations contemporaines, qui traduisent souvent un cruel manque d’imagination et s’effectuent parfois sous forme de massacre d’un patrimoine culturel respectable (ainsi de certaines aventures télévisuelles pseudo-arthuriennes assaisonnées d’humour bas de plafond pour lesquelles je n’ai jamais compris l’engouement populaire). Quant à Barjavel, je m’étais, suite à un vieux pari ridicule, refusée à en lire la moindre ligne jusqu’ici.
Il faut reconnaître à l’auteur un mérite incontestable : celui de rappeler avec clarté le déroulement des épisodes de la quête et de suivre les aventures de Lancelot et de tous ses camarades chevaliers sans égarer le lecteur dans le dédale des noms bretonnants des lieux et des guerriers. Autrement dit, pour la première fois de ma vie, je comprends quelque chose à l’histoire de la quête du Graal.
Le récit des aventures de Lancelot, dans une langue simplifiée au service de l’action, est agréable à suivre. Aucun temps mort ne vient affaiblir la narration, mais des intermèdes sont subtilement ménagés pour maintenir le lecteur en haleine tout en distillant des informations sur les personnages secondaires que sont Morgane, Galehaut ou Viviane. Barjavel réussit le pari d’une modernisation (qui apparaît notamment avec l’introduction de quelques objets anachroniques comme les boîtes de conserve ou les bulldozers) qui ne trahit pas l’esprit de la légende.
Des aspects majeurs de l’œuvre que je n’aurais pas soupçonnés m’ont frappée à la lecture. Tout d’abord la violence inouïe de combats très visuels, contre des adversaires énigmatiques et inhumains. L’écriture poétique de Barjavel nous met en présence de soldats de cuivre ou d’un château magique dont on ne sort jamais, et l’on croirait entrer dans une superproduction américaine peuplée de décors en 3D, de méchants robotiques et d’un super-héros au cœur pur. On sentirait presque les lames s’enfoncer sous les hauberts et les masses fracasser les os, au point parfois d’être légèrement écœuré par les descriptions. Mais la violence la plus marquante est celle qui oppose les chevaliers entre eux, lors des tournois, où il est permis d’occire son adversaire pour le plaisir des spectateurs ; mais surtout lorsque les passions se déchaînent, aveuglant le si sage Arthur, la modeste Guenièvre, la concupiscente Morgane et même le preux Lancelot, dont l’âme n’est pas assez innocente pour conquérir le Graal.
Car l’apport principal de Barjavel à la légende de Lancelot, c’est d’accepter que le héros ne soit pas un demi-dieu, malgré sa force et son courage, mais bien un homme, incarné et sensuel, profondément atteint au cœur par la flèche d’amour qui l’unit à Guenièvre. Au Château de l’Eau sans Bruit, les deux amants délaissent les règles de l’amour courtois pour une union charnelle pudiquement évoquée par l’auteur dans une page dont je ne résiste pas à vous livrer un extrait : « Encore à demi dans le sommeil, ses fins cheveux ébouriffés, ses yeux clairs emplis de rêve, il entra… Ici nous ne pouvons que nous taire. Pour décrire l’amour qui s’accomplit, tant de joie éperdue, la timidité d’abord, peut-être l’effroi, le cœur qui veut sauter hors de la poitrine, les mains qui veulent connaître, qui se tendent, qui se posent, qui se brûlent, la découverte, l’émerveillement, les corps qui se joignent peau à peau et s’unissent, la stupeur, l’envol, le bonheur de l’autre, la douce lassitude, la tendresse, la gratitude infinie, et la redécouverte et le nouvel élan, et les frontières de la joie sans cesse reculées, et celles du monde volant en éclats, pour dire la délivrance du cœur que plus rien ne gêne, l’épanouissement de l’esprit qui comprend tout, pour donner même une faible idée de ces moments hors du temps et de toutes contraintes, il faudrait employer d’autres mots que ceux dont dispose le langage ordinaire. » Impressionnant aussi est le lien qui unit Merlin et Viviane, condamnés à demeurer vierges pour conserver leurs pouvoirs afin d’aider les chevaliers dans leur quête. La lutte entre la sagesse et le désir amoureux sublime ces deux personnages souvent représentés de façon très éthérée et leur confère une puissance nouvelle.
Une jolie découverte que cette version abrégée de L’Enchanteur, destinée à un large public (aussi bien adolescent qu’adulte). À lire pour se réconcilier avec la culture du Moyen-Âge.
j’adore